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Reprendre la Parole !

Patriote ALGERIEN démocrate et laïc, Républicain attaché au progrès et à la justice sociale. Farouchement jaloux de ses droits et pleinement engagé pour leur défense.

ENR Algérie : “Le seuil de 40% ne sera jamais atteint d’ici 2030 !”

Dr Hocine Bensaad (*), consultant auprès du PNUD, à propos de l’objectif de production d’électricité à partir du solaire

“Le seuil de 40% ne sera jamais atteint d’ici 2030 !”

Par : Malek Yanni

L’expert auprès de cette institution de l’organisation des Nations unies souligne dans cet entretien les limites du nouveau programme de développement des énergies renouvelables.

Liberté : L’Algérie s’est donnée en février 2011 son propre programme pour le développement des énergies renouvelables. En tant qu’expert en la matière, comment appréciez-vous cette première feuille de route ? Quels sont les aspects qui ont retenu le plus votre attention ? 

 
Hocine Bensaad : Il est heureux que l’Algérie se soit finalement décidée, officiellement, à adopter un programme de développement des énergies renouvelables jusqu’à l’horizon 2030. C’est une décision certes beaucoup plus politique qui a été prise après les changements survenus dans le secteur énergétique, afin de préserver ce qui fut élaboré en 2002 après la création de NEAL, car aucune discussion publique n’a donné lieu à un large débat sur le sujet. Tout s’est déroulé en cercle restreint. Ce qui explique d’ailleurs l’absence et l’indisponibilité, durant plusieurs semaines, d’un quelconque document relatif à un programme d’une telle importance et pour lequel un budget de 60 milliards de dollars est prévu. Il a, par contre, bénéficié d’un fort relais médiatique qui ne saurait se substituer à un véritable débat public. 


Ce qui retient l’attention, c’est l’absence totale de référence aux activités antérieures de formation, de recherche et de réalisation effectuées par l’Office national de la recherche scientifique, les universités, le Commissariat aux énergies nouvelles/Haut-commissariat à la recherche depuis les années 1970. Comme si, avant l’adoption de ce programme, c’était le néant. Ce qui va donc justifier l’introduction dans le programme d’une première étape de 2011 à 2013 pour la réalisation de projets pilotes pour tester les différentes technologies disponibles puis d’une seconde étape de 2014 à 2015 pour marquer le début du déploiement du programme. Il n’est absolument rien dit des moyens humains, matériels et financiers qui vont être déployés durant cette période. C’est une décision prise dans la précipitation, car elle n’est appuyée par aucune explication économique et scientifique ayant déterminé le choix de soixante projets, les équipements et les installations, leurs lieux d’implantation et la superficie des terrains à occuper, la répartition par projet du budget alloué de 60 milliards de dollars ! Sur la base de quels critères ? De 2,73 $ le watt ?

Vous-même aviez qualifié ce programme d’“extrêmement ambitieux” et de “très audacieux”. L’objectif annoncé de 40% du pack énergétique issu des énergies renouvelables vous semble-t-il raisonnablement réalisable, sachant l’état actuel de la technologie et des ressources humaines du pays en la matière ? 


En effet, c’est un programme ambitieux. Je dirai même volontariste, car comment va-t-il être réalisé et par qui ? Sera-t-il fait recours aux sociétés étrangères comme c’est le cas pour le parc éolien d’Adrar de 10,2 MW qui a été confié finalement à la société française Cegelec, une société sous-traitante qui s’est chargée de l’achat chez le fabricant espagnol Gamesa de 12 aérogénérateurs de 850 kW chacun et de leur installation dans un délai de 18 mois. Il faut souligner qu’aucun aérogénérateur de moindre puissance n’a été testé en milieu saharien dans le site choisi durant au moins une année pour connaître ses performances. Les données météorologiques auxquelles il est fait référence sont celles mesurées par la station météo à l’aéroport d’Adrar distant de 75 km. On est donc dans l’à-peu-près. Ce seront 13 millions d’euros et 590 millions de dinars qui vont être injectés dans du sable. Par comparaison et pour information, l’installation d’un parc de 10 MW en France coûte 13 millions d’euros. 

Quant à la centrale hybride gaz-solaire de Tilghemt, résultat de l’appel d’offres lancé en 2005, donc bien avant l’adoption du programme, elle peut être considérée comme une centrale expérimentale, sans stockage et donc sans appoint, en milieu saharien. Le principal bénéficiaire de cette expérience semble être le partenaire et actionnaire majoritaire espagnol, car la centrale est fermée aux chercheurs algériens. C’est une politique qui n’est pas pratiquée en Espagne pour les chercheurs européens ! 

Est-il alors raisonnable que CEEG Spa lance un appel d’offres pour la sélection de sociétés en vue de la réalisation de centrales solaires thermiques de 300 MW en 2015 et de 2000 MW d’ici 2021, c’est-à-dire l’érection d’une centrale CST de 200 MW chaque année entre 2011 et 2021 avant même que ne soient connus et analysés les résultats du fonctionnement de cette première centrale ? Et avec quelle ressource humaine algérienne ? Et même si ces centrales étaient érigées et fonctionnaient à plein régime sans incident, un simple calcul démontrerait que le pourcentage de 40% ne serait jamais atteint d’ici 2030 ! Les récentes intempéries ont mis à nu les faiblesses et les insuffisances du système énergétique classique en place. Comment alors gérer un système aussi complexe que même les pays avancés peinent à maîtriser ?

Quels sont les effets induits par le choix, pour le moment du moins, de l’hybride, notamment les coûts ?

Il n’y a malheureusement aucune information disponible qui puisse permettre de porter un jugement sur le fonctionnement et le rendement de la partie solaire de cette centrale hybride en milieu désertique; depuis qu’elle a été inaugurée en juillet 2011. Il serait cependant prématuré et hasardeux de lancer d’autres centrales de ce type comme le prévoient CEEG Spa et NEAL, avant d’avoir connu le facteur de charge de cette centrale à différentes périodes de fonctionnement, compte tenu des conditions climatiques, des risques et des variations météorologiques, des défaillances et négligences humaines, des défaillances des équipements et des installations, en particulier la partie contenant le fluide caloporteur, une huile synthétique dont dépend la puissance de la centrale solaire. Il y a lieu aussi de prendre en compte la présence et la disponibilité du personnel national qualifié acceptant de travailler dans un environnement extrêmement pénible. Comme toute installation expérimentale, les coûts seront toujours élevés, même si le gaz est fourni presque gratuitement. C’est l’exportation de ce même gaz qui permet d’acheter ces équipements et installations. La première expérience menée a plutôt privilégié la conversion thermique à travers une centrale solaire hybride. Mais le photovoltaïque est également évoqué. Serait-il plus avantageux ? Et en quoi ?

Le ministère de l’énergie a privilégié la filière thermique dès janvier 2003 quand fut signé un accord de coopération entre NEAL et l’Agence internationale pour l’énergie, accord qui fut suivi en septembre par une mission de Solar Paces Start, organisme qui fait du lobbying pour l’AIE et les centrales thermiques.

Le solaire photovoltaïque présente l’avantage d’être une énergie décentralisée, “démocratique”. à la différence des centrales thermiques, il présente un intérêt de pouvoir produire de l’électricité aussi bien au niveau d’un puits pour le pompage de l’eau, des postes de surveillance ou de télécommunication le long d’une autoroute ou des frontières du Sud, dans les centres de santé, pour la conservation de vaccins, l’éclairage d’une maison, d’un immeuble ou fournir de l’énergie à une entreprise, avec des installations de quelques centaines de watts à des dizaines de mégawatts de puissance.

Le premier responsable de l’Unité de développement de la technologie du silicium (UDTS) vient de reconnaître à la radio que son unité produit des plaques de silicium à faible rendement et à coût élevé. Cela est d’autant plus inquiétant qu’il s’agit là d’une matière première nécessaire et d’un organisme de recherche (UDTS) appelé à venir en amont d’un process d’industrialisation. Que faut-il faire donc ?

Il faut d’abord rendre hommage au directeur de l’UDTS pour avoir su sauvegarder et maintenir depuis plus de vingt ans cette unité malgré toutes les vicissitudes et les contraintes diverses rencontrées durant cette période et avoir constitué plusieurs équipes de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens hautement compétents en électronique et en physique des semi-conducteurs. En l’état actuel, le silicium demeure la matière première indispensable dans le domaine du photovoltaïque. Il est bien évident, s’agissant de silicium polycristallin, que son rendement ne peut dépasser 13 à 15%, tout dépend du degré de pureté. Le processus industriel de fabrication de silicium électronique est très complexe et nécessite de lourds investissements. 

C’est d’ailleurs l’erreur qui a été commise en lançant l’usine de Rouiba, erreur qui a consisté à importer du silicium métallurgique pour être transformé en silicium électronique. Ainsi est, au départ, créée une dépendance dans un marché où les prix peuvent fluctuer et le produit se raréfier. Il aurait fallu créer une société mixte et construire une usine de production de silicium métallurgique, électronique et solaire d’une capacité de 5000 t/an, pour satisfaire les différents besoins de l’industrie algérienne, de l’électronique, la métallurgie à la cosmétique. Un industriel comme Cevital est capable de le faire pour peu qu’il soit soutenu. Il produit et exporte du verre plat !

L’Algérie commence à faire des pas timides vers le projet Desertec, initiative d’essence privée. Cela vous semble-t-il aller dans la bonne voie et qui doit selon vous investir dans le créneau du solaire ?

L’Algérie veut devenir membre de l’OMC. L’économie de marché et la globalisation sont devenues des réalités tangibles. Le créneau solaire ne peut donc être l’apanage du seul secteur de l’état. 

Ce qui, en fait, risque d’être source d’immobilisme, de malversation, de mauvaise gestion et avoir un effet répulsif pour tout investisseur potentiel, excepté pour ceux qui veulent vendre des équipements, souvent obsolètes, tant que le pays est solvable. Le secteur privé national, grâce à son dynamisme, ses moyens et ses compétences doit nécessairement être partie prenante.  Il ne peut être réduit aux seules activités de sous-traitance. Il est bien évident que Desertec ne saurait être le partenaire exclusif en la matière. La diversification est absolument nécessaire. Et les pays asiatiques, l’Amérique latine présentent de grandes opportunités qu’il faut développer.

Quels obstacles peuvent-ils se présenter devant l’objectif tracé de produire 22 000 MW en 20 ans ?

Le premier obstacle auquel va être confronté l’état, c’est la précipitation et l’attitude volontariste des exécutants, qui consiste à croire que parce que le pays dispose d’un “matelas” de ressources en devises que procurent les hydrocarbures, les objectifs peuvent être atteints, quitte à avoir recours à l’expertise et aux compétences étrangères comme cela continue à se pratiquer. Le deuxième obstacle, lié au précédent, est le nombre réduit de la ressource humaine qualifiée dans un domaine pointu, ressource humaine qui a besoin de stabilité et de règles de conduite respectant le savoir et la compétence.  

Le troisième, un obstacle objectif, l’absence d’expérience dans l’édification, la gestion et le retour d’expérience dans un secteur de pointe.

Enfin un obstacle de taille, la bureaucratie et les procédures administratives qui découragent et ruinent toute initiative et activité de recherche.


M. Y.

(*) Dr Hocine Bensaad : expert/consultant, responsable du programme éolien au CEN de 1983 à 1988, membre de la British Wind Energy Association 1982 – 2000, consultant auprès du Pnud en gestion et réduction des risques.

 

Liberte-1[1] 29 Février 2012

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