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Reprendre la Parole !

Patriote ALGERIEN démocrate et laïc, Républicain attaché au progrès et à la justice sociale. Farouchement jaloux de ses droits et pleinement engagé pour leur défense.

On a tort de croire qu’en étouffant l’Histoire, celle-ci ne resurgira pas

 

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Leïla Aslaoui Hemmadi. Ancienne magistrate à la cour suprême, ancienne ministre et auteur.
On a tort de croire qu’en étouffant l’Histoire, celle-ci ne resurgira pas

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Leila Aslaoui vient de publier aux éditions Dalimen un poignant et sulfureux roman sur le traumatisme de la décennie noire, Le cartable bleu. Derrière l’écriture, un message : le refus de l’impunité et la nécessité de se forger une mémoire collective.

- Après Lettres à Neyla-Meriem, vous récidivez dans l’écriture romanesque avec un ouvrage poignant, Le cartable bleu…


Les deux ouvrages obéissent à une écriture différente (style épistolaire et style romanesque), mais tous deux se veulent un témoignage sur le vécu, sur le combat de plusieurs générations dont la mienne, auxquelles les libertés et les droits n’ont pas été offerts sur un plateau d’argent. Des générations qui ont eu à défendre leurs acquis lorsque ceux-ci furent menacés durant les «années rouges». Le cartable bleu s’est imposé à moi, telle une évidence et une urgence, sitôt promulguée en 2005 la loi sur «l’amnésie», accordée aux islamistes terroristes sans jugement et sans condamnation. Derrière l’écriture romanesque, le lecteur retrouvera mes positions inchangées, consistant en un refus de l’impunité et d’un pardon accordé à des criminels dont je ne saisirai jamais le sens et la portée -puisque les offenseurs n’ont jamais exprimé de regrets. Et comment parler de pardon lorsqu’il n’y a ni justice, ni vérité ? D’ailleurs, Le cartable bleu s’inscrit dans l’actualité de notre pays, puisque des gardes communaux, des patriotes et des familles de victimes du terrorisme revendiquent ces temps-ci un statut. Celui-ci ne signifie pas seulement des demandes matérielles. Il exige une reconnaissance de la patrie à l’égard de ceux qui lui ont évité de sombrer dans le chaos et d’établir une distinction entre les bourreaux et les victimes.



- A travers votre dernier ouvrage, vous poursuivez votre quête : éclairer les consciences et les générations futures sur leur passé, en l’occurrence sur la décennie noire, en projetant votre fiction dans les années 2030 ?


Je souhaitais principalement rendre un hommage aux victimes du terrorisme islamiste connues et anonymes. Lorsque souffle le vent de l’amnésie, il est important de rappeler les traumatismes et les drames qu’ont engendré les «années rouges». Pourquoi 2030 ? Tout bonnement parce que nul ne peut savoir ce qu’il adviendra d’un passé vite occulté et pourtant si douloureux. Une nation ne peut être solidement unifiée lorsqu’elle est dépossédée de sa mémoire collective. «On ne cicatrice pas une plaie infectée en la recousant», dit Souhila, l’héroïne…


- Parmi les deux personnages principaux, campés dans le rôle de vos deux petites-filles, l’une est un peu distante tout en s’appropriant le passé, l’autre est plongée dedans parce qu’elle découvre le mystère de ce cartable…


En effet, j’ai imaginé l’Algérie de demain (2030) avec peut-être des jeunes indifférents à un passé qu’ils n’ont pas vécu et d’autres, peut-être, qui voudront savoir ce que contient le cartable-symbole de la mémoire. Je ne pouvais pas avoir une réponse tranchée sur cette question. Si je l’avais fait, l’ouvrage aurait péché par excès et l’écriture en aurait souffert. Cette question elle-même dépendra de ce qui sera transmis aux petits-enfants par leurs descendants des deux côtés (les familles de victimes et celles des terroristes islamistes). Cette page sombre sera-t-elle écrite ? Rien n’est moins sûr. Et si elle l’était, gageons que les historiens auront la bonne idée de se servir précisément des témoignages comme matériaux. Tout cela m’a  amené à créer deux personnages différents : Neyla, fière de «Ba Sidou» mais distante. Sirine, impliquée parce qu’elle découvre ce cartable bleu. Nul ne peut savoir ce que les jeunes penseront et feront de la décennie rouge et surtout, ce que sera l’Algérie de demain. En quête, après bientôt cinquante ans d’indépendance, de mémoire et d’identité ? Voilà pourquoi je me devais de diversifier les opinions et les comportements face à ce passé. N’a-t-on pas vu au mois de janvier 2011 avec satisfaction un ex-fissiste sommé de déguerpir du quartier de Bab El Oued par des jeunes, qui lui ont signifié clairement que ses appels à la haine et au meurtre de 1990 n’étaient pas leur combat ?



- Cette trame d’histoire poignante et saisissante à la fois renvoie à une série importante de questionnements dont la violence, le pardon et l’histoire ?


La grande interrogation a trait à l’écriture de l’histoire. En 2030, Sirine s’étonne de n’avoir pas été instruite à l’école sur cette décennie rouge. Et il y a lieu de dresser un parallèle entre ce vide probable et celui relatif à la guerre de libération qui n’est pas encore écrite, en dehors de quelques témoignages. Cela étant, on a tort de croire qu’en étouffant l’Histoire, celle-ci ne resurgira pas. La vérité sur les circonstances de la mort d’Abane Ramdane n’a-t-elle pas fini par éclater, alors même qu’on le disait mort au champ d’honneur ? On sait maintenant que ce sont des «frères» de combat qui l’ont lâchement assassiné. L’autre question est relative à la violence. Lorsqu’on l’occulte, qu’on ne guérit pas ceux qui l’ont pratiquée et ceux qui l’ont subie, il n’est pas certain qu’elle ne se reproduise pas au moment où l’on s’y attend le moins. Croyez-vous qu’un enfant de 5 ans en 1994 ou 1995, qui a assisté à l’assassinat de son père, sera un homme «normal» en 2020 ou 2030 ? Croyez-vous qu’on guérit d’un traumatisme comme d’un rhume ? L’autre grande question est évidemment celle du pardon ou plutôt de l’impossibilité de pardonner parce que seul l’acte de justice apaise. Comment se posera cette question dans l’Algérie de demain ? J’ai une impression bizarre d’une Algérie avec trop de cases manquantes : la mémoire, l’identité, la citoyenneté… pour ne citer que cela sans oublier l’injustice ou les injustices. En filigrane, évidemment, à chacune des pages du Cartable bleu, il y a bien entendu l’image désastreuse que renvoient les islamistes (l’islamisme étant une idéologie politique et non une croyance religieuse) de l’Islam. Le hidjab, le djilbab, en étant les meilleurs exemples pour procéder à l’enfermement de la femme. Et s’il est reconnu à chacune de se vêtir comme il lui plaît, il n’en demeure pas que le voile a été l’argutie des islamistes terroristes pour assassiner celles qui ont refusé de le porter. Le cartable bleu est aussi un hommage que je rends à ces victimes dont Katia Bengana fut un symbole de courage.



- Dans cette histoire romancée, la réalité prend finalement très souvent le dessus sur la fiction ?


Il m’était difficile d’éviter cet écueil, ayant vécu de bout en bout et au quotidien la décennie rouge. Et je ne regrette nullement cette alchimie entre la fiction et la réalité, car cet ouvrage se voulait un témoignage. Ceux qui ont connu cette époque se souviendront. Ceux qui n’ont pas eu à la vivre comprendront, je l’espère, que sans l’arrêt du processus électoral, ce ne sont pas des milliers mais des millions de personnes qui auraient été assassinées. Et l’Algérie aurait ressemblé à l’Afghanistan des Talibans. Nous avons perdu des êtres chers, nous n’avons pas notre perdu notre patrie. Alors nous avons gagné. Même si de nombreuses batailles nous
attendent. Mais il s’agit là d’un autre débat.

Nacima Chabani

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